Son nom ne vous dit pas grand chose : Johanna Quandt. Elle était pourtant à l’Allemagne ce que Liliane Bettencourt est à la France… Une immense fortune du pays et principale actionnaire d’un géant de l’industrie (BMW), mais pas seulement. Elle est décédée le 3 août 2015 à l’âge de 89 ans.
Matriarche d’une famille d’actionnaires, Johanna Quandt était toujours à 89 ans la principale actionnaire du groupe BMW. Son décès a provoqué une certaine émotion en Allemagne, admirée ou décriée, Johanna Quandt ne laissait pas indifférent comme le suppose la fortune colossale de l’empire industriel familial, environ 31 milliards d’euros en 2014.
À l’origine, sa fortune est celle de son époux. Herbert Quandt, riche industriel qu’elle rencontra dans les années 50 alors qu’elle n’était que secrétaire. Après 22 ans de mariage, Herbert Quandt décède en 1982 et laisse son empire à Johanna et ses deux enfants Susanne et Stefan. Riche veuve, Johanna aurait pu laisser filer, être à l’abris du besoin en revendant ses parts. À la place, elle a appris les métiers de la gestion et de la finance. Elle fut la vice-présidente de BMW 15 années durant, avant de se retirer en 1997 tout en conservant 46,7% des parts du groupe. Johanna Quandt conservait également des parts dans le spécialiste de la fibre de carbone SGL Carbon ou le chimiste Altana.
Une discrétion rattrapée par les faits divers et la politique
Ces dernières années, Johanna Quandt ne faisait pas parler d’elle, préférant la discrétion de sa maison de Bad Hombourg (Hesse) aux mondanités. Seuls deux sujets majeurs lui furent consacré par la presse allemande. Le premier, en 2009, à propos d’ « un gigolo suisse » qui abusa de la confiance et fit chanter sa fille, Susanne (soldée par 6 ans de prison). Fin 2013 avec un don 690 000€ à la CDU, le parti de la chancelière allemande Angela Merkel, deux semaines après sa ré-élection. Pour beaucoup d’opposants, ce don a ressemblé à une forme de corruption afin de pousser la chancelière à s’opposer aux nouvelles normes écologiques de l’Union Européenne, notamment sur les rejets de CO2.
Examen de conscience tardif
Un jour, Johanna Quandt dut également faire face au passé de son défunt mari. Les historiens ont mis en évidence que Herbert Quandt ainsi que son père, Günter, avaient largement profité des camps de travaux forcés nazis (50 000 personnes, certains en sont morts) pour soutenir l’effort de guerre et participé à la spoliation de familles juives. Fin 2007, BMW décide d’ouvrir ses archives. Il s’en suit un documentaire implacable diffusé sur la chaîne NDR. Dans ce film, l’un des procureurs de la dénazification, Benjamin Ferencz, assure que « si le tribunal de Nuremberg avait eu en main les documents réunis par les auteurs du film, Quandt aurait été condamné tout comme Krupp ou Flick ». Il faudra attendre 2011 pour que le nécessaire devoir de mémoire de Herbert Quandt soit rédigé. Un livre tout autant à charge mais autorisé par la veuve. il fut regrettable que Johanna Quandt donna aussi tardivement son autorisation à cet examen de conscience public auquel de nombreuses fortunes familiales allemandes (et européennes) ont du se plier. Peut être aussi parce que pour de nombreux allemands, Günther Quandt fut avant tout l’homme qui sauva BMW de la faillite en rachetant le constructeur à Daimler en 1959.
Certainement la décision la plus lourde jamais prise par Johanna Quandt au cours d’une vie certainement heureuse et remarquable. Elle qui, jeune adulte, ne devait certainement pas ambitionner plus que sa place de secrétaire. Une histoire à la Pretty Woman, en plus allemand.
avec AFP et Libération